En coulisse

Obsolescence programmée : rupture consommée ?

David Lee
14/6/2019

Lorsqu'un appareil rend l'âme au moment de l'expiration de la garantie, il est difficile de croire qu'il s'agit d'un hasard. Les industriels provoquent-ils cette obsolescence ? Il est généralement impossible de le prouver. Mais il existe des solutions pour contrer ce phénomène.

Les choses cassent, bien souvent trop tôt et sans raisons apparentes : une pièce en plastique qui se détache, un transistor qui brûle, une alimentation électrique qui rend l'âme, un joint qui fuit. Et même si le reste fonctionne encore parfaitement, l'appareil est irréparable, ou alors les réparations coûtent un bras et une jambe.

Face à ce type de situations, on serait rapidement tenté de soupçonner des pratiques frauduleuses de la part des fabricants. C'est ce qui m'est arrivé avec le bouton de l'appareil que l'on voit sur la photo d'illustration de mon article ci-dessus. Comme il est formé d'une seule pièce fixe en plastique sans charnière, chaque actionnement favorise la fatigue du matériau, jusqu'à l'inéluctable rupture. Et probablement qu'avec des tests de fatigue, on pourrait même déterminer la durée de vie de la pièce en question.

De nombreux utilisateurs ont l'impression que leur équipement tombe en panne – dans une régularité toute méthodique – peu après l'expiration de la garantie. C'est ce qui est arrivé à BasementKid, dont l'avis sur son MacBook d'Apple figure en ce moment sur de nombreuses affiches.

Pur hasard ou préméditation ? L'obsolescence programmée renvoie à un ensemble de techniques visant à diminuer la durée de vie des produits et, par conséquent, à en accélérer le renouvellement. Vous avez déjà probablement entendu parler de ce problème qui fait couler beaucoup d'encre, et même dans la communauté d'ailleurs. En tapant dans Google « obsolescence programmée » et « digitec.ch », les résultats sont nombreux. Les utilisateurs évoquent les intentions malveillantes des fabricants d'imprimantes, de cartes graphiques, de souris d'ordinateur, de claviers et de chargeurs, soit presque tout finalement.

L'obsolescence programmée peut se manifester de nombreuses façons : par exemple, des pièces consommables installées de telle sorte qu'elles ne peuvent être remplacées ; des points faibles bien connus qui ne sont délibérément pas renforcés ; des produits conçus de façon à ce qu'ils deviennent rapidement obsolètes d'un point de vue technique.

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L'obsolescence programmée nous évoque une affaire bien connue, celle du cartel des fabricants d'ampoules électriques de l'entre-deux-guerres. Souvenez-vous, à l'époque, les principaux fabricants d'ampoules tels que Philips, Osram et General Electric avaient convenu de limiter la durée de vie d'une ampoule à incandescence à 1000 heures. Ce qu'ils ont réussi.

Pratiquement indétectable

Pourquoi ce vieil exemple revient-il sans cesse sur la table ? C'est très simple, parce que c'est l'un des rares cas d'obsolescence programmée dont on peut prouver l'existence. Ce cartel sur les ampoules électriques tenait un registre et imposait des amendes en cas d'entorse à leur entente commune. Il existe des documents écrits sur leur connivence dans cette affaire. Depuis, les entreprises concernées ont été condamnées.

Cependant, dans la plupart des cas, l'obsolescence programmée ne peut pas être détectée. Certes, on peut juger de la robustesse ou non d'un appareil, mais on ne peut prouver la présence intentionnelle de failles. En effet, les industriels sont presque toujours en mesure de justifier les raisons pour lesquelles un produit a été conçu de telle ou telle façon. Et les produits high-tech complexes ne dérogent pas à cette règle non plus.

Voici d'ailleurs quelques exemples :

le bouton cassé de l'appareil sur la photo d'illustration de mon article a peut-être été fixé de cette façon pour des raisons de simplicité et de coût ;

un appareil dont la batterie est scellée ou soudée pourrait répondre à la définition d'obsolescence programmée, car il devient inutilisable une fois qu'elle est épuisée. Le sertissage permet d'obtenir un design plus esthétique et un boîtier plus lisse laissant moins passer la poussière et l'humidité par exemple.

De nombreux appareils électroniques contiennent des condensateurs bon marché qui s'abîment après quelques années seulement. Pourtant, un condensateur plus robuste ne coûte pas beaucoup plus cher qu'un de mauvaise qualité. Peut-on parler dans ce cas d'une obsolescence programmée ou d'une simple optimisation des coûts ? Pourquoi les fabricants devraient-ils amener à 20 ans la durée de vie d'un équipement prévu pour 5 ans ? Pourquoi cela gêne-t-il les fabricants de GPS de rendre leurs appareils obsolètes après 15 ans, alors même que personne ne les utilise plus aussi longtemps ?

La plupart des smartphones renferment des composants sertis que l'on ne peut pas remplacer. S'agit-il là d'obsolescence programmée ? Pas nécessairement. Et pour cause, le remplacement de composants peut s'avérer inutile, notamment lorsqu'ils ne sont pas au même niveau technique que l'appareil en question. Aussi sympathique que soit l'idée du Fairphone, ce concept montre aussi les problèmes qui surgissent lorsque l'on propose un téléphone avec le plus grand nombre de composants remplaçables possibles.

Par exemple, le fait de ne pas fournir de mises à jour pour les anciens appareils les rend inutilisables à un moment donné. Ici aussi, on pourrait supposer qu'il s'agit d'obsolescence programmée. Cependant, il se peut aussi que la puissance de calcul soit trop faible pour le logiciel mis à jour, ou qu'il soit trop cher pour le fabricant de prendre en charge tous les anciens modèles.

Même l'affaire du cartel des ampoules n'était pas si évidente qu'elle n'y paraît. Le documentaire d'Arte « Prêt à jeter » montre une ampoule qui brûle presque continuellement depuis plus de cent ans. L'ampoule centenaire, mondialement connue, est la preuve vivante qu'un tel objet peut être durable. Mais ce qu'on ignore ici, c'est que le filament de cette ampoule de 60 watts n'émet presque plus de lumière. À consommation d'énergie égale, plus une ampoule brille et plus vite le filament se détériore. L'objectif est donc de trouver un compromis entre la durée de vie de l'ampoule et son efficacité lumineuse.

L'absence d'explication plausible concernant une faille ne constitue pas non plus une preuve de mauvaise intention de la part du constructeur. Il se peut que ce dernier soit tout simplement stupide.

Situation juridique

La préméditation étant difficile à prouver, il n'est pas surprenant qu'il n'existe pas d'interdiction légale dans de nombreux pays. Les membres du cartel Phœbus – l'oligopole des ampoules électriques – ont été condamnés non pas pour obsolescence programmée, mais pour accords anticoncurrentiels. En Allemagne et en Suisse, l'obsolescence programmée n'est pas explicitement interdite. En 2012, le Conseil national a même rejeté le postulat concernant la lutte contre l'obsolescence programmée.

La France et l'Italie, cependant, rivalisent d'efforts depuis quelques années pour responsabiliser les fabricants. Apple, par exemple, vient d'être condamné en Italie à verser une amende de dix millions d'euros pour avoir volontairement bridé les performances des processeurs de l'iPhone afin d'en préserver la batterie.

Là non plus, tout n'est pas si simple qu'il n'y paraît, car il peut être dans l'intérêt de l'utilisateur de réduire la puissance de calcul pour augmenter la durée quotidienne de la batterie du smartphone. En revanche, comme l'utilisateur n'en est pas conscient, il pourrait être tenté d'acheter un nouvel appareil de façon prématurée.

Honnête ou malhonnête ? Peu importe, c'est le résultat qui compte.

Dans la plupart des cas, des experts – tels que Christoph Hugi, maître de conférences en durabilité et développement à la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse – soupçonnent non pas une entreprise malhonnête, mais simplement un manque d'intérêt pour la durabilité de la part des industriels. Ces derniers n'ont rien à gagner à concevoir des produits robustes, alors pourquoi s'en donneraient-ils les moyens ?

En fin de compte, il n'est même pas nécessaire de prouver une intention frauduleuse. Ce qui est important, c'est le constat. Si un appareil tombe en panne dans les deux ans suivant une utilisation normale, c'est que quelque chose ne tourne pas rond, que le fabricant le veuille ou non.

Des garanties prolongées sont donc plus efficaces que des procédures judiciaires fastidieuses pour obsolescence programmée. La Suisse a fait un pas dans cette direction en 2013 en passant la période de garantie légale de 12 à 24 mois.

Selon ce principe, d'autres mesures seraient tout à fait envisageables. Les smartphones pourraient par exemple être équipés de mises à jour de sécurité pendant au moins cinq ans. Toutefois, il faudrait coordonner de telles lois à l'échelle mondiale, ou européenne tout du moins. Si la Suisse faisait cavalier seul, alors les fabricants ne souhaiteraient tout simplement plus approvisionner un marché aussi petit.

Cassé ou dépassé

Il est difficile de prouver une durée de vie inférieure à la moyenne, qu'elle soit intentionnelle ou non. Dans ce cas, il faudrait collecter suffisamment de données fiables pour chaque produit. Il semble que de telles études n'existent pas. La Stiftung Warentest mène occasionnellement de grandes enquêtes auprès des utilisateurs sur la durée de vie des ordinateurs portables, mais la dernière en date remonte à plus de dix ans.

Réalisée en 2016 par l'Agence fédérale allemande pour l'environnement, cette étude indique que la durée de vie utile moyenne des appareils a effectivement diminué, non pas parce que les appareils deviennent inutilisables, mais parce que les consommateurs ne veulent pas continuer à se servir d'anciens appareils et préfèrent donc acheter la nouveauté, bien que l'ancien fonctionne encore parfaitement.

Bien entendu, cela peut également être l'intention du fabricant. En raison des progrès techniques constants, un ordinateur portable de cinq ans n'est tout simplement plus attrayant. Il n'y a pratiquement rien à objecter à une telle évolution. Il en va autrement lorsqu'un fabricant retient délibérément ses innovations et ne les livre qu'au compte-gouttes, si bien que l'utilisateur doit racheter chaque appareil séparément, et ce, afin de bénéficier de toutes les innovations déjà connues. J'ai eu cette impression avec le premier appareil photo à objectif interchangeable Panasonic G1. Il ne disposait d'aucune fonction vidéo – contrairement à n'importe quel appareil bon marché –, même si cela constitue l'un des grands avantages technologiques par rapport aux appareils reflex. Six mois plus tard, le GH1 arrivait avec cette fonction vidéo. Toutefois, dans ce cas de figure, il n'existe pas de preuve attestant la rétention d'innovations.

Tout ne peut pas être réglé par des délais de garantie légaux, même s'il s'agit d'un remède très efficace contre une durée de vie trop courte. En tant qu'utilisateur, on est aussi responsable, on fait un peu la pluie et le beau temps sur le marché. Alors, si votre smartphone fonctionne toujours correctement et que les mises à jour de sécurité sont disponibles, gardez-le – ou vendez-le tout du moins – afin que quelqu'un d'autre puisse en profiter.

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Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense. 


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