Critique

« Mad Heidi » : torture à la fondue, trash suisse et autres scènes d’horreur

Livia Gamper
21/11/2022
Traduction: Stéphanie Casada

« Mad Heidi » arrive dans les salles de cinéma. Entre l’humour, l’horreur et une réinterprétation du film suisse culte « Heidi », tout y est – surtout le fromage.

Mad Heidi commence avec une clause spéciale : avant de regarder le film, il est essentiel de comprendre comment il a été réalisé. Mad Heidi n’est en effet pas un projet de studio, mais a vu le jour grâce à un crowdfunding de fans de cinéma du monde entier. La réalisation des deux metteurs en scène bernois Johannes Hartmann et Sandro Klopfenstein ainsi que du producteur bâlois Valentin Greutert a duré cinq ans en tout.

Sur leur page d’accueil, les réalisateurs écrivent : « 538 personnes de 19 nations différentes ont participé au financement du film. » Deux millions de francs ont ainsi été récoltés. Les producteurs écrivent en outre qu’ils ont voulu produire un film indépendamment de Netflix ou d’Amazon, non seulement parce qu’ils ne voulaient pas vendre leur propriété intellectuelle, mais aussi parce qu’ils souhaitent que les personnes qui ne sont pas abonnées aux services de streaming puissent également regarder le film.

Il en résulte une sorte de comédie où la suissitude est au rendez-vous. Le faux sang et les autres scènes d’horreur sont également légion.

De quoi parle Mad Heidi

Cette nouvelle interprétation n’a presque rien à voir avec le Heidi de Johanna Spyri, le livre pour enfants et célèbre film suisse. Mad Heidi se déroule dans une Suisse dystopique tombée sous le joug fasciste du méchant baron du fromage et président suisse Meili (Caspar Diem) et de ses tyrans fromagers – le soi-disant « Switzerland’s New Order ». Alors que le président fou Meili est impliqué dans diverses machinations fromagères douteuses et fait régner la terreur dans tout le pays, le commandant Knorr (Max Rüdlinger) n’hésite pas à commettre des atrocités pour que la Suisse reste dans ce fascisme fromager.

Il ne faut pas longtemps pour qu’Heidi (Alice Lucy), originaire des Alpes idylliques, s’oppose au commandant Knorr. En effet, ce dernier a lui-même exécuté de sang-froid Pierre le Chevrier (Kel Matsena) sur la place du village en raison de la fabrication de produits laitiers illégaux – et plus tard, il a fait exploser le chalet d’alpage de l’aimable Alpöhi et grand-père d’Heidi (David Schofield).

Pas étonnant qu’Heidi soit énervée.

Humour suisse et clichés omniprésents

S’il y a bien une chose qui ne manque pas à Mad Heidi, ce sont les idées absurdes qui ne viennent normalement que lorsqu’on est complètement ivre. Ainsi, tout au long du film, on parle anglais. Ce n’est toutefois pas l’anglais cinématographique auquel nous sommes habitué·es, mais plutôt le « schwenglisch » : le dialecte suisse est évident. « Danke Schatz, it smells delicious », dit-on ainsi au dîner dans le chalet d’alpage, rappelant aussi comment les touristes suisses essaient de communiquer avec la population locale à l’étranger.

Le président suisse et baron du fromage Meili (Caspar Diem) apporte beaucoup de suissitude.
Le président suisse et baron du fromage Meili (Caspar Diem) apporte beaucoup de suissitude.

Bien entendu, le cliché du fromage suisse n’est pas en reste. Le produit laitier est omniprésent et constitue en fait l’accroche de tout le film. Au début, on assiste à un défilé dramatique et sanglant contre le fabricant de fromage « Meili » : l’entreprise appartient en effet au président suisse. Il a décrété que les intolérant·es au lactose n’auraient plus leur place dans le fascisme fromager. Pour trier les personnes souffrant de problèmes digestifs, il leur fait mettre un morceau de fromage dans la bouche. Celles et ceux qui ne peuvent pas le garder dedans sont exécuté·es ou meurent de toute façon d’un empoisonnement au fromage. C’est comme ça que ça se passe chez les nazis du fromage.

Outre Heidi, Pierre le Chevrier et Alphöhi, les autres protagonistes des livres pour enfants Heidi des années 1880 sont également représenté·es dans le film. Klara, Mlle Rottenmeier – tout le monde est là. Geissenpeter, par exemple, est joué par une personne de couleur. Cela rend le film désinvolte. On ne sait pas si les cinéastes ont voulu ainsi faire une déclaration politique, mais cela correspond au caractère délicieusement arbitraire du reste de la bande.

Geissenpeter est joué par une personne de couleur, et ça rend bien.
Geissenpeter est joué par une personne de couleur, et ça rend bien.

De plus, le film montre régulièrement le magnifique paysage suisse en accéléré. Du Cervin, on se rend rapidement à Davos, puis on retourne au centre-ville de Berne.

L’horreur est au rendez-vous

Mad Heidi n’est définitivement pas un film familial : ce n’est pas pour rien qu’il est déconseillé aux moins de 16 ans. En effet, Mad Heidi appartient au genre de film trash et gore. Un film trash va à l’encontre du goût, de la morale et des préjugés bourgeois conservateurs de manière provocante et est souvent excessivement brutal. Ce dernier point s’applique également aux films gores. Dans Mad Heidi, il y a quand même de l’action et de la comédie.

« Mad Heidi » ne manque pas non plus d’action.
« Mad Heidi » ne manque pas non plus d’action.

Pourtant, je dois détourner le regard à plusieurs reprises, car il y a trop d’organes qui volent et de sang qui gicle : dans Mad Heidi, des personnes sont coupées en deux, battues à mort avec du chocolat Toblerone en guise de matraque et des soldats suisses portant des brassards rappelant la Seconde Guerre mondiale tirent sauvagement avec des fusils. Parfois, les visages sont lacérés. Des têtes sont arrachées. Heidi se retrouve dans un camp de rééducation semblable à un camp de concentration.

Mais ce n’est pas tout. La torture à la fondue est omniprésente. Au lieu de torturer les gens en leur mettant la tête sous l’eau, on leur verse de la fondue chaude dessus. Les victimes sont à la fois brûlées et asphyxiées par le fromage liquide. C’est ainsi que fonctionne le « trash » dans le « film trash ».

Le commandant Knorr veut tout voir brûler.
Le commandant Knorr veut tout voir brûler.

Mais c’en était apparemment trop pour la police : un cadre de la police a été licencié sans préavis pour avoir participé au film. Produire un tel film d’horreur avec des parodies de nazis ne serait pas compatible avec le métier. Après coup, ce licenciement a été jugé inadmissible.

Conclusion : beaucoup d’humour, mais pas pour tout le monde

Heidi en justicière armée d’une hallebarde et Alpöhi en combattant partisan contre le régime des fascistes du fromage en valent définitivement le coup d’œil. Mais il y a un « mais » : Mad Heidi est certes un divertissement, mais le film n’est définitivement pas pour les âmes sensibles. Un film trash comme on les aime, avec un humour qui repousse toujours volontairement les limites des mœurs et du bon goût ; bonjour la polémique nazie. De plus, il y a beaucoup de sang ; comme il se doit dans un film d’horreur.

Les brassards suisses rappellent ceux de la Première Guerre mondiale.
Les brassards suisses rappellent ceux de la Première Guerre mondiale.

Ce qui frappe, c’est la valeur étonnamment élevée de la production. En effet, les films trash ont souvent tendance à avoir l’air aussi mauvais que leur budget. Cf. The Ring Thing. Les images de Mad Heidi ne sont pourtant pas mauvaises. Celles des Alpes sont particulièrement réussies. D’ailleurs, je n’ai presque rien à redire : les acteur·rices sont convaincant·es et l’histoire tient dans l’ensemble plus la route que ce à quoi je m’attendais. Vous pouvez effectivement voir dans le film que tout le monde y a mis du sien. Il n’est juste pas pour tous les publics.

Mad Heidi sera dans les salles de cinéma à partir du 24 novembre 2022. Et pour ceux qui ne veulent pas aller au cinéma, le film sera disponible en streaming directement sur madheidi.com à partir du 8 décembre, sans aucun abonnement.

Toutes les images : © Swissploitation Films / madheidi.com

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Faire des expériences et découvrir de nouvelles choses font partie de mes passions. Tout ne fonctionne pas toujours comme prévu et il arrive quelquefois que quelque chose se casse. Sinon, je suis accro aux séries et je ne peux plus me passer de Netflix. En été, on me trouve le plus souvent dehors au soleil – au bord du lac ou à un festival de musique. 


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