Photo : Ashkan Forouzani / Unsplash
En coulisse

Le dernier voyage du téléphone portable (5e épisode) : les vieux appareils méritent une durée de vie plus longue

Martina Huber
17/12/2020

Le caractère bon marché des nouveaux portables n'encouragent pas les gens à garder leurs vieux appareils plus longtemps ou les faire réparer. Il faudrait prolonger ce temps le plus possible, car la fabrication de dispositifs électronique pèse lourdement sur l'environnement.

Swisscom estime que huit millions de vieux téléphones portables inutilisés traînent dans les tiroirs suisses, des appareils qui contiennent, entre autres, 136 kilos d'or, 15 kilos de palladium et plus de 50 tonnes de cuivre, soit une valeur matérielle de près de dix millions de francs suisses, voire plus, car il y a encore plus de métaux précieux dans les vieux appareils que dans les smartphones modernes. « Les huit millions de téléphones sont une estimation prudente, peut-être est-ce plus », explique Marius Schlegel, chargé de la responsabilité d'entreprise et de l'économie circulaire. « Qu'il y ait huit ou dix millions d'appareils, ça ne change pas le problème, ça reste beaucoup trop. Comme la production de téléphones et autres appareils mobiles représente une lourde charge pour l'environnement, ils doivent être utilisés aussi longtemps que possible avant d'être mis au rebut correctement une fois défectueux. »

Les vieux téléphones portables traînent souvent à la maison

Cette sous-utilisation a fait l'objet de l'étude « Global Mobile Consumer Survey » dans le cadre de laquelle, en 2018, le cabinet de conseil Deloitte a interrogé 54 000 consommateurs environ de 35 pays sur 6 continents sur l'emploi de leurs smartphones, tablettes, ordinateurs portables et autres appareils connectés à Internet. 1000 citoyens suisses âgés de 18 à 70 ans ont également participé à cette enquête en ligne. L'enquête a révélé que 92 % des adultes en Suisse possèdent au moins un smartphone, et que seul un tiers environ des anciens appareils sont réutilisés : 17 % des personnes interrogées ont déclaré donner leur téléphone portable usagé à des amis ou à des parents en cadeau lorsqu'elles en achètent un nouveau, et 17 % ont déclaré revendre dans ce cas. Mais pour 37 %, le vieux téléphone portable traîne dans le tiroir, « pour les urgences ». La Suisse n'est pas la seule dans ce cas : selon cette même enquête, la moyenne mondiale est de 41 % et la moyenne européenne, de 45 %. Seuls 6 % des Suisses interrogés ont déclaré avoir mis leur vieux téléphone portable au recyclage, et 7 %, l'avoir jeté avec les ordures ménagères. Sur cette base, l'enquête estime que plus de 80 000 téléphones portables se retrouvent chaque année dans les usines d'incinération de déchets suisses.

98 % de l'impact environnemental des smartphones provient de la fabrication et de l'élimination

« Les téléphones pèsent le plus lourdement que tout autre appareil », explique Heinz Böni, qui dirige le groupe de recherche sur les matériaux critiques et l’efficacité des ressources au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa). Pour le compte de l'Office fédéral de l'environnement, il a analysé, il y a quelques années, cinq catégories d'appareils – machines à laver, réfrigérateurs, téléviseurs, ordinateurs portables et smartphones – afin de déterminer si leur recyclage est judicieux sur le plan écologique. Pour les calculs, des appareils typiques de l'année de référence 2016 ont été sélectionnés. L'analyse compare l'impact environnemental de la production et de l'élimination à celui de la phase d'utilisation. Le rapport final « Weiter- und Wiederverwendung von elektrischen und elektronischen Geräten. Ökologische und ökonomische Analyse » (Réutilisation et recyclage des équipements électriques et électroniques. Une analyse écologique et économique), paru en 2018,
montre que dans le cas des réfrigérateurs et des machines à laver, plus de la moitié de l'impact environnemental se produit pendant la phase d'utilisation, à savoir 61 % pour le premier et 56 % pour la seconde. En revanche, concernant les téléviseurs, les ordinateurs portables et les smartphones, l'impact environnemental en phase de production et d'élimination est prédominant, avec 61 %, 81 % et 98 % respectivement. Seulement deux pour cent de l'impact environnemental d'un smartphone se produit donc pendant sa phase d'utilisation, et ce, en supposant une durée de vie utile de cinq ans. « Pour ce qui des machines à laver et des réfrigérateurs, passé 12 ans, il ne vaut plus la peine de les rafistoler pour continuer à les utiliser », explique Heinz Böni. « Mais pour les produits électroniques comme les téléphones et ordinateurs portables ainsi que les écrans – dont la fabrication a un impact environnemental important –, il est judicieux de les utiliser le plus longtemps possible. »

Les pays européens testent la recyclabilité des vieux équipements

Le rapport de l'Empa montre que de nombreux appareils électriques et électroniques sont mis au rebut et recyclés avant même d'atteindre leur durée de vie techniquement possible, et ce, en raison de la baisse des prix et de l'évolution des habitudes de consommation Dans les autres pays européens, les points de collecte doivent d'abord vérifier si la réutilisation des anciens équipements est possible avant leur élimination. Par exemple, dans certains pays comme l'Allemagne, l'Autriche et la Belgique, des réseaux de réutilisation des équipements ont été mis en place pour compléter les systèmes d'élimination. Cependant, ces réseaux se traduisent souvent par des investissements considérables pour réparer et reconditionner les appareils. La vente des appareils d'occasion est difficile en raison de la situation des prix des nouveaux appareils. « Les efforts de réutilisation de ces équipements usagés n'ont guère été fournis en Suisse par le commerce, les importateurs et les fabricants », indique le rapport.

Il est dommage de voir ce qu'on doit parfois éliminer.
Markus Stengele, ingénieur en environnement chez Sorec AG

« Nous sommes obligés d'éliminer correctement les équipements qui nous sont confiés », confirme Markus Stengele, ingénieur en environnement et responsable qualité et environnement chez Recycling AG (Sorec). Lorsqu'on lui demande si les équipements encore utilisables arrivent souvent chez Sorec, il répond : « Cela fait 25 ans que j'évolue dans la branche du recyclage, plus rien ne me surprend. Et pourtant, il est dommage de voir ce qu'on doit parfois éliminer. »
Il trouve regrettable, par exemple, que des appareils neufs et non endommagés soient systématiquement envoyés à Sorec pour le compte de sociétés de vente par correspondance et de magasins d'électronique. « Si un client décline un colis endommagé durant le transport, l'appareil nous est directement remis pour recyclage après avoir été trié chez le détaillant. Je suis convaincu que l'on trouvera des possibilités de réutilisation à l'avenir. »

Une seconde vie pour les vieux téléphones portables

Stengele se félicite de l'engagement de Swisscom qui donne, autant que possible, une seconde vie aux téléphones portables usagés. Les téléphones portables placés dans les boîtes de collecte des magasins Swisscom dans le cadre du projet Mobile Aid ne sont envoyés à Sorec pour recyclage que s'ils ne fonctionnent plus et ne peuvent plus être vendus. Selon Marius Schlegel, qui dirige le projet chez Swisscom, environ 750 000 appareils au total ont été collectés de cette manière depuis 2012. Sur les 80 000 téléphones portables collectés chaque année, environ deux tiers sont cassés et finissent au recyclage, tandis qu'un tiers environ peut être revendu après effacement des données personnelles et reconditionnement. Selon Swisscom, les recettes de la vente et du recyclage sont versées à l'association caritative SOS Villages d’Enfants.
Si vous ne voulez pas donner votre ancien téléphone portable, vous pouvez très bien le vendre : Swisscom, par exemple, rachète les smartphones dans le cadre de son programme « Buyback » pour les mettre sur le marché de l'occasion après effacement des données. Revendo – une société fondée à Bâle en 2013, qui rachète également smartphones, tablettes et ordinateurs portables d'occasion pour les revendre – met l'accent sur les produits Apple sans négliger pour autant les autres marques telles que Samsung, Huawei et cie. D'ailleurs, digitec surfe sur la même vague.

« La réutilisation est excellente et le matériel reste en Suisse », déclare Judith Bellaiche, directrice générale de l’association professionnelle Swico qui organise la reprise et le recyclage des équipements informatiques, électroniques grand public, de bureau et de télécommunications. Le Fonds d'innovation Swico a récemment accordé 75 000 francs suisses à un projet de la société Le Bird de Lausanne, qui vise à examiner de plus près le potentiel de réutilisation des ordinateurs portables, téléviseurs à écran plat, téléphones portables et autres équipements. Il comprend également une évaluation de la quantité d'équipements entrant dans le flux de recyclage des DEEE qui seraient effectivement réutilisables et commercialisables. Judith Bellaiche souligne cependant que « la réutilisation à l'étranger est délicate d'un point de vue écologique, car le recyclage propre n'est pas toujours garanti là-bas et beaucoup d'équipements finissent à la poubelle. »

Les consommateurs ont leur mot à dire dans le processus décisionnel

Lors de tests pilotes effectués par Swico dans le passé, une grande majorité de personnes ont déclaré accepter la réutilisation de matériel mis au rebut. Mais ces dernières ne veulent pas l'utiliser elles-mêmes plus longtemps. Par ailleurs, un tel recyclage nécessite des consommateurs prêts à acheter des appareils d'occasion. « La durée de vie d'un smartphone est beaucoup plus longue que sa durée d'utilisation réelle », estime Judith Bellaiche. « Et c'est un problème de consommateur, pas de fabricant. Si on ne le fait pas tomber, le smartphone affiche une durée de vie de cinq ans au bas mot. Mais après deux ans, la plupart des gens en veulent un nouveau. En Suisse, le pouvoir d'achat est élevé, les nouveaux équipements sont abordables. »
Selon Marius Schlegel de Swisscom, il existe également en Suisse un marché pour les smartphones d'occasion de nouvelle génération. En revanche, ce n'est pas le cas pour les téléphones plus anciens et de moindre valeur. C'est pourquoi le partenaire de Swisscom, RS Switzerland, vend ces appareils en vrac à des clients dans des pays où il y a encore de la demande, très souvent en Asie.

Les téléphones portables mis au rebut peuvent encore être utilisés en Asie
Les téléphones portables mis au rebut peuvent encore être utilisés en Asie
Source : Photo d'Eirik Solheim / Unsplash

« L'aspect financier joue un rôle important dans les décisions des consommateurs », déclare Linda Burkhalter, psychologue à l'Institut pour l'environnement et les ressources naturelles de la Haute école zurichoise ZHAW. Elle est codirectrice du projet de recherche « Lebensdauerverlängerung für Mobilgeräte » (Prolongation de la durée de vie des appareils mobiles), soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui a pour but de savoir comment prolonger la durée de vie des appareils mobiles connectés tels que smartphones, tablettes et ordinateurs portables. Le projet s'inscrit dans le cadre du Programme national de recherche 73, qui vise une économie suisse plus durable. « Nous nous intéressons aux processus décisionnels des consommateurs et aux principaux facteurs et obstacles qui amènent une personne à décider de faire réparer ou non son appareil ou d'acheter un appareil d'occasion, par exemple. »

Une enquête représentative auprès de 1000 consommateurs suisses vient de commencer, mais les premiers résultats d'un sondage qualitatif sont déjà disponibles. Ils montrent que, tant lors de l'achat d'un nouvel appareil que lors de la décision de le réparer ou non, ce n'est pas seulement l'aspect environnemental qui joue un rôle, mais financier aussi. « L'obtention immédiate d'un smartphone super-économique avec abonnement motive les gens à l'achat d'un nouvel appareil plutôt qu'un appareil d'occasion au même prix », explique Linda Burkhalter, « d'autant plus qu'un appareil d'occasion peut tomber en panne plus rapidement qu'un neuf », à en croire les craintes des consommateurs interrogés. Les gens sont également plus susceptibles de faire réparer leurs appareils s'ils ont l'impression de pouvoir économiser de l'argent. « Une réparation disproportionnée par rapport au prix d'origine peut être un obstacle. Les gens se demandent si les smartphones avec contrat d'abonnement obtenus à très bas prix valent la peine d'être réparés pour une somme presque aussi élevée que l'achat de l'appareil lui-même ».

Bien souvent, les vieux appareils ne sont pas encore des déchets, car ils possèdent une valeur résiduelle, même cassés.
Linda Burkhalter, psychologue à la ZHAW

La facilité avec laquelle les gens revendent leur équipement constitue un autre facteur dans le processus de décision. Le partenaire du projet Revendo, par exemple, sait que la demande d'appareils d'occasion est plus importante que l'offre des personnes qui vendent leurs anciens appareils. Et parfois, les gens savent en eux-mêmes que la réparation et le recyclage sont importants, mais ont le sentiment que leurs actions n'aboutissent à rien de toute façon. Les processus décisionnels sont très complexes et ne suivent pas toujours une logique rationnelle ; il ne faut pas sous-estimer cet aspect. Il y a un point auquel Linda Burkhalter attache beaucoup d'importance, même si la recherche a montré qu'une meilleure connaissance ne suffit pas à nous faire agir mieux : « Nous devons absolument faire prendre conscience que les appareils électroniques sont précieux et que les anciens ne sont souvent pas encore des déchets, comme le suggère le terme déchets électroniques, mais possèdent une valeur résiduelle, même cassés. »

Voici les quatre autres épisodes de la série :

  • En coulisse

    Le dernier voyage du téléphone portable (1er épisode) : comment les matières recyclables sont récupérées

    par Martina Huber

  • En coulisse

    Le dernier voyage du téléphone portable (2e épisode) : comment les polluants sont éliminés

    par Martina Huber

  • En coulisse

    Le dernier voyage du téléphone portable (3e épisode) : de l'Europe vers l'Afrique

    par Martina Huber

  • En coulisse

    Le dernier voyage du téléphone portable (4e épisode) : le problème des matières premières et des terres rares

    par Martina Huber

Photo d’en-tête : Photo : Ashkan Forouzani / Unsplash

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En tant que journaliste scientifique indépendant, je préfère écrire des articles de fond sur la santé, l'environnement et la science.


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