L’affaire Disney : nos vies valent plus que leurs films
Bob Chapek, PDG de Disney, prétend que « Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux » de Marvel est une expérience. Avec des vies humaines, ce que reprochent les critiques au patron de Disney. À juste titre ?
Le nouveau film Marvel « Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux » sortira en exclusivité dans les salles de cinéma le 3 septembre. Il sera cependant disponible six semaines plus tard gratuitement sur Disney+ pour tous les abonnés. Le PDG de Disney, Bob Chapek, a persisté lors de la présentation des chiffres trimestriels et a commis une erreur dans le choix de ses mots :
Une expérience intéressante. Chapek aurait tout aussi bien pu dire : « Voyons combien d’argent nous pourrons gagner en projetant d’abord le film au cinéma, alors qu’une pandémie a lieu en ce moment même, avec une nouvelle augmentation des taux d’infection et de mortalité dans le monde entier. »
L’horreur. L’effroi. L’indignation. Il semblerait bien que pour Disney, l’argent soit plus important que la santé de la population.
Le reproche : préférer l’argent à la santé
Aucun film ne mérite qu’on ne risque sa vie pour lui, écrit Danielle Ryan, rédactrice pour Slashfilm. Dans son article, elle parle d’une irresponsabilité totale. Selon Danielle Ryan, Disney essaie de convaincre tous ceux qui veulent voir le film d’aller là, où, selon le pays, le lieu et les lois en vigueur, il y a beaucoup de monde et de personnes non vaccinées : au cinéma. En effet, « Shang-Chi » est le premier film Disney depuis le début de l’année 2020 à ne pas être diffusé simultanément en streaming et au cinéma à sa sortie.
« Un concentré de mauvaises décisions », ajoute-t-elle.
Dans l’espace commentaires, elle reçoit à la fois des critiques et des encouragements. « Il est douteux qu’une entreprise décide de mettre en danger la sécurité du public, surtout dans un environnement où sa santé est menacée », écrit la commentatrice Ada Roberts.
Wildraspberrie rétorque : « Vous vous rendez compte qu’il n’y a pas de droit d’accès à un film depuis le confort de son chez-soi, et que les gens peuvent décider eux-mêmes d’aller ou non au cinéma, non ? » Wildraspberrie parle d’une sortie Day-and-Date. En d’autres termes, le film peut être vu simultanément au cinéma et sur les plateformes de streaming.
Les critiques et l’indignation sur le moment de la sortie en salle se retrouvent également dans l’espace commentaires du magazine spécialisé Deadline, mais pour une autre raison : Laybor Day, la version états-unienne de la Fête du Travail.
Cet évènement a lieu chaque premier lundi de septembre. Cette année, le 6 septembre. Historiquement, les films au cinéma ne démarrent jamais très bien le week-end précédent. La même situation devrait se répéter avec « Shang-Chi » : ce film semble voué à l’échec. C’est précisément ce que veut Bob Chapek. Si le film fait un four au box-office, il pourra dire : « Vous voyez ? L’expérience a échoué. Le long métrage a besoin d’une sortie Day-and-Date », écrit Tony, lecteur de Deadline.
Il est peu probable que Disney jette délibérément l’éponge pour un film dont le budget minimum atteint 150 millions de dollars afin de justifier une stratégie Day-and-Date pour laquelle Disney n’a pas besoin de justification. D’autant plus que « Shang-Chi » avait déjà été annoncé en juillet 2019 et pourrait avoir été planifié des années plus tôt, bien avant que quiconque ne puisse prévoir une pandémie mondiale.
La sortie Day-and-Date n’est pas forcément mieux
La décision de Disney de maintenir la sortie en salles de « Shang-Chi » a attisé les accusations de cupidité. Et ce, après des mois de reproches d’avidité financière de la part des cinémas, en raison de la précédente stratégie de sortie de Disney (le Day-and-Date), problème qui ne concerne d’ailleurs pas que l’entreprise de Mickey Mouse.
En décembre dernier, le géant de la réalisation, Christopher Nolan, avait réagi avec véhémence à la décision de Warner Bros. de sortir simultanément tous ses films en salle et sur son service de streaming interne HBO Max en 2021 en déclarant au Hollywood Reporter :
Depuis lors, la colère des réalisateurs, des acteurs et des exploitants de cinéma a pris des proportions de plus en plus importantes : alors que les acteurs John Krasinski et Emily Blunt sont actuellement en pourparlers avec le studio de cinéma Paramount pour une sortie Day-and-Date de « Sans un bruit 2 », l’actrice Scarlett Johansson est passée à l’attaque et a porté plainte contre Disney.
Elle reproche au géant du cinéma une rupture de contrat en raison du concept de sortie Day-and-Date.
Dans sa réponse initiale à l’action en justice, Disney ne s’est pas montrée très classe. Tout d’abord, en précisant que Scarlett Johansson ne pensait qu’à l’argent ; son contrat prévoit un partage des revenus provenant des recettes du box-office, et non des revenus du streaming. Ensuite, Disney a accusé l’actrice de filer un mauvais coton en insistant sur une sortie exclusive en salle de cinéma en pleine période de pandémie mondiale.
Les mêmes accusations que celles faites à Disney avec le film « Shang-Chi ».
Il est clair que Disney ne veut pas qu’on lui dicte la manière de sortir ses films. Néanmoins, la pression semble grande pour le géant du cinéma. Entretemps, presque tous les studios de cinéma de renom, tels que Warner Bros., Paramount et Universal Pictures, ont fait marche arrière par rapport à la sortie Day-to-Date Même Disney : à partir de 2022 au plus tard, les films devront être projetés exclusivement dans les salles de cinéma pendant 45 jours avant de sortir sur les plateformes de streaming. Certains films respectent déjà cette règle, « Shang-Chi » à tout hasard.
Pour l’instant, du moins.
Ce petit cachotier de Bob Chapek...
Pour l’instant, parce que les propos de Bob Chapek lors de sa présentation des chiffres trimestriels sont souvent transmis sans tenir compte du contexte. Le PDG de Disney a également déclaré, à la suite de sa citation sur « l’expérience intéressante » :
Le patron de Disney ne prononce pas directement le mot « variante Delta », mais on peut le lire entre les lignes. Pourquoi alors ne pas sortir « Shang-Chi » sur le service Internet de streaming Disney+ en même temps ?
Comprenez : « Nous aimerions faire une sortie Day-and-Date. Malheureusement, nos mains sont liées par contrat. Nous cherchons donc à en tirer le meilleur parti. »
C’est parce que les franchises comme les films Marvel ou Star Wars ont besoin du cinéma comme d’une grande scène pour en faire un évènement incontournable que Disney a voulu que « Shang-Chi » sorte d’abord exclusivement au cinéma. Le pouvoir d’attraction mondiale se révèle trop important, amplifiant encore la portée des marques comme seul le cinéma peut le faire. J’ai écrit un article à ce sujet au début de la pandémie.
L’incertitude plane sur Disney : l’entreprise conservera-t-elle son nouveau modèle de cinéma de 45 jours ? Les propos de Bob Chopek ne rassurent guère. En effet, le modèle de sortie Day-and-Date de Disney constitue une réussite financière et le service de streaming de Mickey Mouse se développe plus rapidement que ce que les investisseurs avaient prévu. Cette plateforme de vidéos en ligne compte désormais [116 millions][https://www.bilan.ch/entreprises/disney-surpasse-ses-attentes-avec-116-millions-dabonnes-disney) d’abonnés dans le monde.
Par exemple, selon les chiffres trimestriels, « Black Widow » a rapporté « seulement » 80 millions de dollars au box-office US lors de son week-end d’ouverture en juillet. Cependant, le Premium Access sur Disney+ a permis d’engranger 68 millions de dollars supplémentaires grâce au service de streaming. Ajoutez à ces montants 78 millions de dollars au box-office international et « Black Widow » devient la sortie au cinéma la plus réussie depuis le début de la pandémie. « Jungle Cruise » s’en est également bien sorti : le film a généré 30 millions de dollars uniquement grâce à Disney+.
En comparaison, « Suicide Squad », lancé à la fois au cinéma et gratuitement sur HBO Max, n’a rapporté que 24 millions de dollars lors de son week-end d’ouverture. Malgré les bonnes critiques. Un bide.
En outre, les studios de cinéma ne doivent pas partager les revenus générés par les services de streaming à 50/50 avec les exploitants de salles de cinéma comme d’habitude, mais seulement à 80/20 avec les exploitants des serveurs de streaming. D’un point de vue purement entrepreneurial, une sortie Day-and-Date semble donc plus intéressante.
Surtout dans le contexte d’une pandémie qui se prolonge.
Disney, symbole du Mal absolu ?
Disney s’est-elle transformée en rapace avide d’argent parce qu’elle ne sort pour l’instant « Shang-Chi » qu’au cinéma, ou parce qu’elle s’en tenait auparavant à son modèle commercial de sortie Day-and-Date ? Les avis divergent. Seule l’idée d’un Disney symbole du Mal absolu semble faire consensus.
Cependant, la Walt Disney Corporation n’est rien d’autre qu’une entreprise : elle analyse le marché, le comportement de son public et met en place des stratégies pour maximiser les ventes, soit le propre d'une entreprise ou d'un studio de cinéma. Les chiffres semblent donner raison à Mickey Mouse. Les familles en particulier apprécient le paiement unique de 29 CHF pour l’accès à la sortie Day-and-Date. La facture finale revient toujours moins chère que lors d’une visite au cinéma avec pop-corn et boissons hors de prix.
À Zurich, le billet coûte par exemple 19,90 CHF pour les adultes et 16,60 CHF pour les enfants. Ajoutez 6,60 CHF pour le pop-corn et 4,90 CHF pour la boisson. La facture s’élève à 119 CHF pour une famille composée d’une maman, d’un papa et de deux enfants. À la maison, c’est 29 CHF plus 0,80 CHF pour un grand paquet de pop-corn au micro-ondes.
Là où Disney se démarque, c’est par sa position de plus en plus monopolistique en tant qu’entreprise médiatique mondiale, d’où le désamour à son encontre. Une cible rêvée pour les critiques, et à juste titre. Disney ne devrait pas et ne doit pas abuser de son pouvoir. Il est important d’y être attentif. Néanmoins, il convient de ne pas tomber non plus dans la critique gratuite.
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»