En coulisse

Jouer à « Zelda : Tears of the Kingdom » sur émulateur, est-ce légal ?

Le nouveau Zelda est sorti en exclusivité sur Nintendo Switch. Du moins, en théorie. Car le jeu fonctionne déjà sur PC grâce à des émulateurs. Un juriste nous explique si cela est légal en Suisse.

Deux semaines entières avant son lancement officiel, The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom apparaissait sur des bourses d’échange. Les streams sur Twitch ne se sont pas faits attendre, tout comme la réponse draconienne de Nintendo. L’entreprise japonaise a exigé, via un tribunal américain, que les serveurs Discord publiant du contenu sur le jeu soient bloqués et que les noms des personnes ayant fait fuiter le jeu soient rendus publics.

Les émulateurs sont une véritable épine dans le pied de Nintendo. Ces programmes permettent de jouer à des jeux de console sur d’autres appareils comme un PC. C’est exactement ce qui se passe actuellement avec le nouveau The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom. C’est pourquoi les fabricants d’émulateurs et d’outils utilisés pour cela sont actuellement dans le viseur de la firme.

Si la question de la légalité d’un jeu acquis illégalement deux semaines avant son lancement est rapidement résolue, celle du principe des émulateurs et des ROM s’avère plus complexe. Pour en savoir plus, j’ai interrogé Martin Steiger, avocat et expert en droit numérique.

Les ROM et les émulateurs sont-ils légaux ?
Martin Steiger, avocat : Je pars du principe que les émulateurs sont légaux pour les utilisateur·rices individuel·les en Suisse. De mon point de vue, il est également légal de faire une copie des jeux que l’on a achetés soi-même afin de les utiliser dans un émulateur. En revanche, le téléchargement reste illégal.

En Suisse, le téléchargement de films, de séries, etc. est légal, mais la mise en ligne est illégale, est-ce bien ça ?
En Suisse, le téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur relève en principe de l’usage privé autorisé. C’est le cas, par exemple, des séries télévisées ou de la musique. Les logiciels constituent une exception majeure. Mais la création de copies de sauvegarde individuelles de logiciels est toujours autorisée.

Il n’a pas fallu longtemps pour que le nouveau Zelda atterrisse sur des émulateurs.
Il n’a pas fallu longtemps pour que le nouveau Zelda atterrisse sur des émulateurs.
Source : Nintendo

Nintendo s’attaque également aux outils nécessaires pour contourner la protection contre la copie. Qu’en est-il du droit dans ce domaine ?
Nintendo est connu pour son approche agressive en matière de copie de jeux. En principe, le droit suisse interdit également le contournement des mesures techniques efficaces de protection des œuvres. Il existe toutefois une exception importante : la protection contre la copie peut être contournée pour des utilisations autorisées par la loi. Il s’agit notamment des copies de sauvegarde des logiciels.

Ce n’est donc pas parce que j’ai acheté un jeu ou une console que je dois automatiquement en déduire que je peux en faire ce que je veux ?
Les acheteur·ses peuvent faire presque tout ce qu’ils ou elles veulent avec leur console, dans les limites habituelles. Par exemple, il ne faut pas la jeter avec les ordures ménagères, mais avec les déchets électroniques. Et quiconque jette sa console n’importe où devrait veiller à ne pas causer de dommages corporels ou de dégâts matériels supplémentaires.

La valeur d’une console réside cependant uniquement dans le logiciel qu’elle fait tourner. Pour cela, Nintendo impose des limites factuelles et contractuelles. La question de savoir où se situent ces limites fait l’objet d’un débat controversé entre les juristes. Pour utiliser une console Nintendo, il faut accepter les conditions de Nintendo, renoncer à utiliser la console ou se rabattre sur des alternatives.

Les nouvelles aventures de Link suscitent un énorme engouement.
Les nouvelles aventures de Link suscitent un énorme engouement.
Source : Nintendo

Qu’en est-il au niveau international des lois sur l’émulation et les ROM ? Que se passe-t-il si Nintendo gagne un procès aux États-Unis ? Comment ces lois s’appliqueraient-elles en Suisse ?

En matière de droit d’auteur, le principe de territorialité (lex loci protectionis) s’applique. Le droit d’auteur applicable est toujours celui du pays dans lequel une question juridique est discutée. Le droit américain ou les jugements américains en matière de droit d’auteur n’auront donc pas d’impact direct sur la situation juridique en Suisse. Il existe toutefois des effets indirects, car les sources pertinentes se trouvent généralement à l’étranger ou sur l’infrastructure Internet américaine.

Le marché des rééditions d’anciens jeux sur de nouveaux appareils est à la mode. Pensez-vous que cela conduira à des réglementations plus strictes en matière d’émulation ?
La situation juridique est claire. Je doute donc qu’il y ait suffisamment de raisons de renforcer le droit d’auteur qui est déjà très restrictif aujourd’hui. Des fournisseurs comme Nintendo seraient bien avisés de surfer sur cette tendance et d’en tirer profit financièrement. Malheureusement, l’industrie des contenus et des jeux se montre toujours incapable de prendre l’argent qui lui tombe littéralement du ciel. Des fournisseurs douteux viennent alors souvent s’engouffrer dans la brèche.

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En tant que fou de jeu et de gadgets, je suis dans mon élément chez digitec et Galaxus. Quand je ne suis pas comme Tim Taylor à bidouiller mon PC ou en train de parler de jeux dans mon Podcast http://www.onemorelevel.ch, j’aime bien me poser sur mon biclou et trouver quelques bons trails. Je comble mes besoins culturels avec une petite mousse et des conversations profondes lors des matchs souvent très frustrants du FC Winterthour. 


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