
En coulisse
Tell décolle – Suisse, nation spatiale épisode 1
par Martin Jud
La fusée HEIDI est dans le désert, le compte à rebours est lancé. Un bruit assourdissant suit, accompagné de réjouissances – un moment de chaire de poule garantie. Le moteur accélère à près de 1000 km/h. Des forces incroyables agissent sur l'objet volant. Puis le parachute s'ouvre et, après moins de trois minutes, l'atterrissage suit sous un tonnerre d'applaudissements.
Avec la première fusée TELL, ARIS (Akademische Raumfahrt Initiative Schweiz) a déjà remporté un prix pour le design des freins à air lors du plus grand concours d'ingénierie pour la construction de fusées – la Spaceport America Cup – mais le vol lui-même a été un échec total.
Néanmoins, les efforts n'ont pas été vains, car les étudiants à l'origine de l'initiative spatiale utilisent les connaissances acquises lors de l'échec pour tout faire mieux. La deuxième fusée HEIDI sera terminée en mars 2019.
Si vous voulez savoir ce que renferme HEIDI et comment un nouveau projet de fusée est abordé, lisez le deuxième épisode.
Fin mars, le moment tant attendu est enfin arrivé. HEIDI est prête pour les premiers tests, ce qui signifie beaucoup de stress. Paul, qui s'est rendu disponible pour me parler du projet d'un point de vue personnel, explique : « La dernière semaine de mars a été vraiment difficile. Les premiers essais de la fusée étaient prévus et nous avons collé les derniers tubes lundi. Malheureusement, nous nous sommes, par la suite, rendu compte que nous avions mal travaillé – certaines parties ne voulaient pas s'emboîter. »
L'équipe décide donc de travailler de nuit. Ils coupent le surplus de matériau à la bonne taille, le poncent et le recollent. Vers une heure du matin, l'exercice est terminé. Quelques heures plus tard, à cinq heures, ils se remettent au travail.
« Nous n'avions pas le choix, car un essai en soufflerie était prévu mercredi après-midi chez Sauber et les pièces de fusée fraîchement collées devaient être mises au four le plus rapidement possible afin qu'elles puissent durcir dès le lendemain. »
Mercredi, le premier assemblage de toutes les pièces de la fusée aura lieu directement devant la soufflerie de Sauber :
« Nous étions très nerveux, car tout s'est passé à la dernière minute, mais l'assemblage s'est déroulé sans problème. Ensuite, HEIDI a été installée dans la soufflerie de Sauber. Trois heures ont suivi, au cours desquelles les freins ont été déployés et rétractés à plusieurs reprises. Nous avons mesuré la traînée générée par les panneaux déployés et la façon dont la fusée se comporte dans un flux d'air avec différents angles d'écoulement. »
Les données recueillies après le test dans la soufflerie sont transférées dans une simulation du futur vol. Elles permettent de tirer de nouvelles conclusions qui, en fin de compte, se répercutent directement sur l'algorithme de contrôle de la fusée.
Paul et ses collègues n'ont pas le temps de faire une pause. Après la soufflerie, il reste deux jours pour les préparatifs du premier vol d'essai de la fusée. Ce dernier se déroule dans le canton de Neuchâtel, ce qui, d'un point de vue organisationnel, n'est pas idéal. En effet, des règles strictes s'appliquent en Suisse. Il faut entre autres un champ deux fois plus large que l'altitude à laquelle vous souhaitez voler.
Comme vous pouvez le voir dans la vidéo, le test se passe bien. Les parachutes s'ouvrent comme prévu. Seuls les étudiants souffrent un peu, car personne n'a pensé à emporter des tentes pour se mettre un peu à l'ombre. Le premier vrai jour ensoleillé de l'année laisse sa trace sur des visages rayonnants... et rouges.
Après les tests, il reste à l'équipe environ deux mois et demi pour optimiser la fusée et se préparer à la Spaceport America Cup. Il faut notamment organiser le transport des pièces vers les États-Unis. Pour éviter les problèmes de douane, le moteur est acheté aux États-Unis et livré directement au Nouveau-Mexique.
Le jour est enfin arrivé – l'équipe se rend à El Paso dans la nuit du 15 juin 2019. Le samedi, ils louent des voitures et se rendent à la lisière du désert, à Las Cruces. Un lieu composé de fast-food et d'un centre commercial. À l'exception des lancements de fusées, qui ont lieu quelques kilomètres plus loin dans le désert, c'est là que tout se déroule. L'accueil et la cérémonie de remise des prix ont lieu ici. De plus, toutes les équipes peuvent présenter et parler de leurs projets dans une immense salle. Il y aura également des tables rondes – lors de ce concours, élargir son réseau est presque aussi important que les sports de fusée.
Sur place, les étudiants assemblent la fusée le dimanche pour ensuite vérifier tous les systèmes. Ils accordent une attention particulière aux composants intégrés, au test du système de récupération ainsi qu'aux freins à air. Les tests se poursuivront jusqu'à mardi matin. Pendant cette période, pour mettre toutes les chances de leur côté, les étudiants se rendent aussi dans le désert pour répéter l'assemblage à plus de 40°C. Ainsi, ils voient que la dilatation thermique des pièces n'est pas trop forte et que tout s'assemble bien.
Le mardi après-midi, il y aura une série de questions avec les juges de la compétition et un contrôle de sécurité critique de toutes les pièces détachées, qui sera réussi du premier coup. La voie est donc libre pour HEIDI et les étudiants ont jusqu'à samedi pour effectuer leur vol en fusée. Pour HEIDI, un créneau est envisagé le mercredi.
Ensuite, tout va très vite. Mardi, les simulations continuent jusque tard dans la nuit. Après quelques heures de sommeil, les étudiants partent pour le désert le mercredi, à quatre heures du matin. Ils ont emporté tout l'équipement, la fusée, trois tentes, de la nourriture et suffisamment d'eau pour que chacun puisse boire six à huit litres par jour. Pour que personne n'oublie de boire, le Safety Officer est nommé maître de boisson. Toutes les 15 minutes, il rappelle à tous ses collègues de s'hydrater.
L'installation du camp et le montage de la fusée suivent, mais toujours sans moteur. La fusée sera prête à 13 heures. Les étudiants sont fatigués et en légère hypoglycémie. Les nerfs sont à vif, personne ne peut penser correctement après toutes les contraintes de cette chaleur extrême. Certains font même déjà une sieste spontanée dans un fauteuil de camping.
Lorsqu'un fort vent thermique s'est levé, l'équipe a décidé de reporter le départ à jeudi. La plupart des membres de l'équipe retournent donc à Las Cruces le soir pour dormir au moins quelques heures avant le jour J. Pendant ce temps, une équipe du projet passe la nuit sur des lits de camp dans le désert pour garder la fusée.
Le jour du lancement de la fusée débute au beau milieu de la nuit. L'équipe se lève à deux heures, car à cinq, elle veut effectuer le (deuxième) contrôle de sécurité obligatoire avant le vol.
Après une heure et demie de route vers le camp, l'équipe soumet la fusée à un nouveau contrôle visuel. Puis elle installe le moteur et appelle l'équipe de sécurité de la Spaceport America Cup. À cinq heures et demie, l'équipe ARIS obtient le feu vert. Maintenant, HEIDI peut décoller. La fusée est chargée sur un petit transporteur et conduite jusqu'à la plateforme de lancement.
Je veux savoir comment Paul a vécu les dernières heures avant le départ :
« Ce jour-là, le temps n'existait plus. Dix minutes passaient comme deux heures. Aujourd'hui, je ne pourrais pas vous dire combien de temps s'est effectivement écoulé. Quand on a travaillé si longtemps pour un instant précis, le monde, le moment tant attendu, semble tellement irréel. Mais un peu avant dix heures, c'était enfin notre tour. »
C'est même au tour de Paul. Peu avant le début, son collègue System Engineer décide qu'il veut suivre le spectacle le plus près possible. En fait, cet ingénieur aurait eu l'honneur d'appuyer sur le bouton de lancement à quelques centaines de mètres de distance. Un honneur qui passe maintenant à Paul. Un moment inoubliable :
« Quand j'y pense, j'en ai encore la chair de poule. J'étais dans la tour de départ et je pouvais à peine fonctionner à cause de toute cette excitation. Tout semblait surréaliste et je n'ai même pas réussi à tourner la clé du bouton de démarrage. Heureusement, j'ai été soutenu par le responsable du Launchpad de la compétition. Lorsque le compte à rebours pour HEIDI a été lancé et que j'ai appuyé sur le bouton, entendu le puissant bruit du moteur de HEIDI et l'ai senti dans mon ventre, j'étais tout simplement ravi.
HEIDI vole comme souhaité et l'équipe a eu trois occasions de l'applaudir pendant le vol. Au lancement réussi, à l'ouverture du parachute principal et à l'atterrissage. Bien que personne ne sache exactement quelle est la performance de HEIDI dans le classement général, tout le monde est très content. Après des mois de travail, toutes les tensions sont relâchées – toute l'équipe est ravie.
L'analyse des vols montre que HEIDI a manqué de sept pour cent l'altitude cible de 3048 mètres (10 000 pieds). Le moteur a fonctionné huit pour cent en dessous des prévisions et les forces d'accélération étaient 2G plus fortes.
C'est un très bon résultat. Dans le classement général de la compétition, le vol représente un tiers du nombre total de points. Deux jours plus tard, l'équipe ARIS découvrira comment le concours s'est vraiment déroulé, lors de la cérémonie de remise des prix. Les étudiants suisses obtiennent 268 points sur 350 pour le vol HEIDI. Les points restants sont attribués pour l'ingénierie, la documentation technologique et le système de récupération.
Points reçus | Total possible | |
---|---|---|
Apogee | 268 | 350 |
Documentation | 255 | 260 |
Enineering | 237 | 240 |
Recovery | 150 | 150 |
Bonus | 100 | 150 |
Total | 1010 | 1150 |
Même l'apparence de l'équipe est incluse dans l'évaluation. Grâce à la norme CubeSat utilisée et au lancement anticipé de la fusée le jeudi, l'équipe marque également 100 points de bonus. Cela place HEIDI à la deuxième place parmi plus de 50 concurrents dans cette catégorie. Toutes catégories confondues, l'équipe ARIS a pris la quatrième place parmi 122 équipes.
Bravo !
L'équipe ARIS a récolté beaucoup de lauriers. Mais s'y reposer n'est pas prévu. La prochaine fusée est déjà dans les starting-blocks. Cependant, les étudiants veulent aller encore plus loin. La fusée baptisée EULER devrait atteindre trois fois la hauteur en juin 2020. Nous sommes curieux de voir s'ils franchiront le mur du son et atteindrons exactement 9144 mètres (30 000 pieds).
Vous pouvez trouver de plus amples informations sur la fusée supersonique EULER ici.
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Le baiser quotidien de la muse stimule ma créativité. Si elle m’oublie, j’essaie de retrouver ma créativité en rêvant pour faire en sorte que mes rêves dévorent ma vie afin que la vie ne dévore mes rêves.