
En coulisse
Contre les fake news et autres : qu'est-ce que le Digital Services Act ?
par Florian Bodoky
De nombreux mythes entourent la protection du droit d’auteur en Suisse. Téléchargement, téléversement, streaming : qu’est-ce qui est autorisé ? Qu’est-ce qui est interdit ? Et pourquoi ?
Téléchargements et partage de fichiers : tout a commencé au tournant du millénaire avec le pionnier, Napster. Ensuite, grâce aux fichiers torrent et aux sites d’hébergement de fichiers en un clic (genre Rapidshare), le phénomène s’est accentué dans les années 2010. Que les fichiers soient partagés en pair à pair ou téléchargés depuis un disque dur, le téléchargement de musique, de films, de série, de jeux vidéo ou de logiciels a alors connu son heure de gloire, en Suisse également.
Grâce au lancement des services VOD (vidéo à la demande) et des services de streaming comme Netflix et Spotify, le partage de fichiers est passé à la trappe. De fait, la VOD permet de regarder ou d’écouter des contenus en qualité supérieure et à un prix modeste. Par ailleurs, ce système est plus confortable que l’ancien, quand on devait chercher soi-même des sources fiables pour télécharger des fichiers.
Or, ces derniers temps, le sujet revient sur le devant de la scène. Cela s’explique notamment par les nombreuses augmentations de prix exigées pour le streaming et par la fragmentation de l’offre. Par exemple, les contenus Disney ou Fox ne sont visibles que sur Disney+, les séries HBO que sur Sky, Paramount Pictures que sur Paramount+, et ainsi de suite.
Pour avoir accès à tout, il faudrait conclure plusieurs abonnements, ce qui revient cher. L’alternative consiste à télécharger et à streamer gratuitement. Cette solution est légale en Suisse. Ou peut-être pas tant que ça ? La réponse est typiquement helvétique : ça dépend !
Dans certains pays européens, les autorités sont intraitables en ce qui concerne le piratage de films et de fichiers musicaux. Même le simple téléchargement peut entraîner des amendes, des procédures pénales et des avertissements divers.
En Suisse, la situation est différente. Vous avez le droit de télécharger ou de streamer certains contenus sans devoir payer directement pour cela. Dans certaines circonstances ! Pour savoir ce qui est autorisé ou non, il faut consulter la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins. L’article 2 de cette loi décrit quelles œuvres sont concernées par ce texte législatif. Concrètement, voici de quoi il s’agit :
Au chapitre 5, art. 19, on vous explique ce que vous pouvez faire. La loi précise : « L’usage privé d’une œuvre divulguée est autorisé ». L’alinéa a vous indique ce qui est considéré comme usage privé dans un cadre privé : « toute utilisation à des fins personnelles ou dans un cercle de personnes étroitement liées, tels des parents ou des amis ». En d’autres termes, la loi vous autorise à télécharger des fichiers musicaux, des e-books, des films et des séries et à les consommer avec vos proches.
Autre chose permise au corps enseignant, par exemple : télécharger un film et le visionner en classe, comme c’est souvent le cas dans les écoles juste avant les vacances de Noël. Ce qui ne va pas, c’est d’organiser un cinéma en plein air dans son jardin et d’inviter des personnes que l’on ne connaît pas.
Par ailleurs, il est admis de télécharger le fichier musical, la série ou le film non pas sous forme de fichier, mais de le streamer directement depuis une plateforme. La loi ne se préoccupe pas de savoir si vous utilisez un lecteur intégré à la plateforme ou installé sur votre disque dur.
Pour quelle raison la Suisse utilise-t-elle d’autres règles que les pays étrangers ? Tout simplement parce que l’on paye pour cela. En Suisse, il n’existe une redevance sur les supports vierges. Les entreprises qui fabriquent ou importent des supports de stockage tels que des DVD, des SSD ou des clés USB doivent payer une redevance (loi sur le droit d’auteur, art. 20, al. 3). Cette redevance est reversée aux titulaires des droits sur les films ou la musique, par exemple. Ces droits à rémunération ne peuvent être exercés que par les sociétés de gestion agréées. Pour les personnes actives dans l’écriture littéraire ou le journalisme, par exemple, il s’agit de Pro Litteris. Pour la musique, c’est la Suisa, et pour le film, c’est Suissimage.
Ces sociétés de gestion collectent les redevances versées par les entreprises et les redistribuent aux titulaires en fonction de l’étendue de leurs droits respectifs. L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) veille à ce que cela se fasse dans les règles. La surveillance des sociétés de gestion lui incombe (art. 52 ff.)
La plupart du temps, les entreprises qui fabriquent les supports ne paient pas cette taxe elles-mêmes. Plus précisément, elles les ajoutent au prix de vente des SSD ou des clés USB. Le prix des clés USB, par exemple, serait plus bas si cette redevance n’existait pas. C’est la raison d’être de l’article 19 de la loi sur le droit d’auteur.
Les logiciels sont un exemple de ce que vous ne pouvez pas télécharger sans autre. C’est ce que spécifie très clairement l’art. 19, al. 4. Idem pour les jeux vidéo ! Mais comme il n’y a pas de règle sans exception, vous avez le droit de télécharger ces contenus si vous avez payé un droit d’utilisation pour cela, par exemple un jeu vidéo sur Steam, même sur plusieurs PC si ces derniers vous appartiennent. C’est ce que vous pouvez lire à l’art. 21.
Il existe aussi des exceptions au niveau du streaming. Ici, on ne vous punira pas si vous streamez des contenus provenant de sources douteuses, sauf s’il s’agit de transmissions en direct visibles uniquement par un public payant. Prenons un exemple : vous avez le droit de streamer des contenus de la SSR (car vous payez la redevance Serafe). Mais vous n’avez pas le droit de streamer des livestreams publics de « retransmission de programmes de la télévision par abonnement ou de programmes ne pouvant être captés en Suisse », comme un match de football retransmis par la chaîne privée Blue. C’est ce qu’indique l’art. 22, al. 3 de la loi sur le droit d’auteur. Il existe souvent, du moins pour les championnats les plus connus (Premier League, Ligue des champions, etc.) des URL Ace permettant de visionner les matchs. Le recours à ces URL est interdit !
En ce qui concerne le téléchargement, la situation semble plus simple, théoriquement. Il est interdit de télécharger un film, une série ou de la musique sur Internet et de les proposer à d’autres utilisateur·rices. On peut vous poursuivre en justice pour cela et vous demander, par exemple, des dommages et intérêts. C’est ce que vous expliquent notamment l’art. 19, al. 3 ainsi que l’art. 20, al. 2 de la loi sur le droit d’auteur.
En toute logique, les exceptions concernent les œuvres dont vous êtes vous-même le ou la titulaire du droit d’auteur (art. 33 et suivants) ou les contenus qui ne sont plus protégés par ce droit. De fait, la protection commence au moment où l’œuvre (un morceau de musique, par exemple) et elle dure soit 50, soit 70 ans. Cela dépend du contenu ; voir les articles 29 et suivants. Par exemple, on peut jouer un morceau de Beethoven au piano, se filmer et poster la vidéo sur YouTube. Il est considéré comme un bien commun en raison de l’expiration de la durée de protection.
Le fait que certains téléchargements soient légaux en Suisse, mais que leur téléversement soit illégal a des conséquences sur les sources que vous pouvez utiliser pour vos téléchargements. En effet, l’interdiction de téléverser s’applique même si vous téléversez ou reproduisez quelque chose par inadvertance. Vous n’avez pas besoin de téléverser activement un film sur un serveur pour être en infraction. Si vous utilisez BitTorrent ou des réseaux en pair à pair, vous pouvez facilement tomber dans le piège. En effet, cette technologie vous permet de téléverser des fichiers en même temps que vous en téléchargez d’autres. D’où l’importance de ne télécharger vos fichiers que depuis un serveur d’hébergement. Le trafic ne doit aller que dans une direction (vers vous !).
C’est avec ce système que les bourses d’échange de fichiers téléchargés ont commencé. Dans un système classique en pair-à-pair, deux clients sont connectés directement. Vous cherchez quelque chose à télécharger, le client le trouve sur l’ordinateur de l’autre client et vous l’envoie. À l’inverse, si quelqu’un cherche un fichier que vous possédez, le système ira le chercher chez vous. Dans ce cas, vous téléverserez quelque chose.
Lorsque vous installez un client Torrent et que vous téléchargez des fichiers via ce dernier, votre ordinateur rejoint un réseau Torrent. Imaginons que vous souhaitiez voir un film. Quand vous le cherchez, le réseau contacte le traqueur qui se trouve dans le fichier Torrent. Celui-ci recherche les utilisateur·rices connecté·es qui possèdent ce fichier sur leur ordinateur. Ensuite, ce fichier est téléchargé sur votre ordinateur en petits paquets de données envoyées depuis toutes les sources. Jusque là, vous êtes ce que l’on appelle un leecher, c’est-à-dire quelqu’un qui ne fait que télécharger. Mais une fois que le fichier aura été recomposé sur votre disque dur, si un·e utilisateur·rice le recherche, vous deviendrez un seeder, c’est-à-dire quelqu’un qui partage des fichiers Torrents. Le nombre de seeders est celui des personnes qui partagent le fichier recherché. Plus il y a de seeders, plus le téléchargement est rapide. Le hic, c’est que cela vous fait téléverser des données. Ce qui est interdit et punissable.
Pour résumer, on peut télécharger, mais pas téléverser. La législation n’explique pas où vous avez le droit de télécharger et de streamer des contenus. Selon la doctrine majoritaire, vous n’êtes pas punissable même si vous savez pertinemment que le fichier a été téléversé sur la plateforme de manière illégale.
Cela est valable même si le site s’appelle « illegaleraubkopien.com ». C’est du moins ce que nous dit [’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle] (https://www.ige.ch/fr/proteger-votre-pi/droit-dauteur/utiliser-une-oeuvre/droit-dauteur-et-internet).
Photo d’en-tête : ShutterstockDepuis que j'ai découvert comment activer les deux canaux téléphoniques de la carte RNIS pour obtenir une plus grande bande passante, je bricole des réseaux numériques. Depuis que je sais parler, je travaille sur des réseaux analogiques. Un Winterthourois d'adoption au cœur rouge et bleu.