
En coulisse
Et coupez ! Quand de valeureux guerriers du Seigneur des Anneaux s'enfuient par milliers
par Luca Fontana
Pourquoi Gollum, le célèbre personnage des films «Le Seigneur des Anneaux», a-t-il l'air si réaliste? Parce qu'il a été joué par un vrai comédien puis animé par ordinateur: Andy Serkis s'est complètement ridiculisé sur le plateau, mais sa prestation est digne d'un Oscar.
Le premier volet du «Seigneur des Anneaux», trilogie cinématographique adaptée du roman éponyme et réalisée par Peter Jackson, est sorti au cinéma en 2001. Ses effets spéciaux révolutionnaires et ses gigantesques batailles ont conquis le public comme jamais un univers fantastique ne l'avait fait auparavant.
L'un des personnages nous a tous particulièrement marqués: Gollum. Derrière le hobbit atteint d'un trouble de la personnalité schizoïde – du moins c'est le diagnostic (en anglais) que des étudiants américains ont posé – se cache Andy Serkis. Malgré ces quelques doutes initiaux, l'acteur anglais n'a pas hésité à se ridiculiser devant toute l'équipe de tournage afin d'incarner le personnage devenu culte.
Tout a commencé par une grenouillère.
Andy Serkis, jusqu'alors inconnu du public, ne voulait pas jouer Gollum.
L'idée de prêter sa voix à un personnage numérique ne l'enthousiasmait pas. «Puis j'ai rencontré Peter Jackson», se rappelle-t-il lors d'un entretien accordé à Movieweb (en anglais). «Il m'a dit que pour ce rôle, il avait besoin d'un comédien qui joue sur le plateau et prenne des décisions quant à son personnage.»
Le tournage du «Seigneur des Anneaux: La communauté de l'anneau», le premier volet de la trilogie, a commencé en octobre 1999. Si le comédien prête sa voix à Gollum durant tout le film, il n'a rejoint le plateau de tournage en Nouvelle-Zélande que quelque mois plus tard. En effet, la créature n'entre en scène que dans le deuxième volet, «Le Seigneur des Anneaux: Les deux tours».
On ne voit Gollum que brièvement dans le premier film. Il évolue dans l'ombre et n'apparaît que quelques secondes, alors que Gandalf (Sir Ian McKellen) explique à Frodo (Elijah Wood) pourquoi il est si obsédé par l'Anneau. Sa peau est gris foncé, son regard diabolique.
Selon Gandalf, «il aime et déteste l'Anneau, comme il s'aime et se déteste lui-même».
Dans cette séquence, Gollum ne se ressemble pas. En effet, le département artistique de Weta Workshop (en anglais) avait déjà décidé de son apparence durant la préproduction. Pour information, la préproduction comprend entre autres la planification des effets spéciaux, qui sont ensuite créés durant la postproduction.
Ce n'est qu'avec l'intervention d'Andy Serkis que le personnage a réellement pris vie en avril 2000.
Le comédien a pris son travail très au sérieux, même vêtu d'une grenouillère. Il a dû porter ce vêtement pour être ensuite facilement ôté de l'image et remplacé par un modèle numérique. Mais ça ne l'a pas empêché d'y aller à fond. Jour après jour, il s'est consacré corps et âme à son rôle comme si le film en dépendait. Il a rampé, il s'est traîné, il a craché. Il s'est complètement ridiculisé, mais peu importe. Il voulait s'investir totalement dans son rôle, pour lui faire honneur.
Le résultat est excellent. Tolkien avait déjà fait de Gollum une figure tragique. Dans les films, le comédien lui a donné encore davantage de profondeur. Il le joue comme une créature naïve et sympathique corrompue par l'Anneau qui cherche à retrouver sa propre identité.
Pour Peter Jackson, une chose était sûre: Andy Serkis ne jouait pas seulement Gollum, il était Gollum. Le jeu expressif, la voix aiguë et enrouée de Gollum, tous deux étaient une seule et même performance. C'était exactement ce qu'il fallait. Au milieu de la production, Peter Jackson a fait un choix: Gollum allait faire peau neuve, et transformer le monde des animations par ordinateur par la même occasion.
Mais ça, personne ne le savait encore.
Les artistes en effets spéciaux de Weta Digital ont changé les traits de Gollum en un temps record. La créature a notamment hérité des coins de la bouche et du nez du comédien. Ses expressions étaient ainsi plus faciles à transposer dans le modèle numérique.
Mais le réalisateur n'était pas satisfait. Il voulait aller plus loin. L'équipe a employé des technologies qui n'étaient pas encore tout à fait au point: la motion capture et la performance capture (littéralement «capture du mouvement» et «capture de l'interprétation», respectivement).
Le comédien a rejoué toutes ses scènes devant un fond vert à Wellington, en Nouvelle-Zélande. Des petits points répartis sur son corps captaient ses mouvements et les transposaient sur le modèle numérique de Gollum. C'est ce qu'on appelle le motion capture. En parallèle, des dizaines de points étaient dessinés sur son visage afin d'enregistrer ses expressions. Lorsqu'il levait un sourcil, Gollum le faisait aussi. C'est le principe de la performance capture.
Ce plan était risqué. Avoir recours à des technologies qui ne sont pas encore au point au milieu de la production demande du temps, chose que le réalisateur n'avait pas. Selon le plan de tournage, la trilogie complète devait être tournée en un peu plus d'un an, avant la sortie de la première partie. Mais le réalisateur néozélandais savait que Gollum était important pour son récit. Crucial, même. «Les deux tours» ne fonctionnerait que si le public acceptait Gollum en tant que personnage bien vivant, fait de chair et d'os.
Le plan a fonctionné. Les programmateurs ont réussi à transposer les mouvements et les expressions du comédien sur Gollum. Du jour au lendemain, il est devenu l'un des personnages les plus connus de la saga.
Ci-dessus, dans l'une des scènes les plus importantes et sans doute les plus connues du personnage, Sméagol (le nom que portait le hobbit avant qu'il ne devienne la créature que l'on connaît) se dispute avec Gollum, son affreuse deuxième personnalité, totalement possédée par l'Anneau. Gollum veut tuer Frodo dans son sommeil et récupérer l'Anneau. Sméagol, lui, veut se libérer de son influence. À jamais.
Ce sont des scènes comme celle-ci qui ont rendu Gollum si réaliste. Nombreux sont ceux qui souhaitaient voir cette performance oscarisée, une performance livrée au public sous la forme d'un personnage animé par ordinateur, ne l'oublions pas. C'était une situation inédite.
Peut-être même un peu absurde.
En effet, le mérite revient au comédien ainsi qu'aux talentueux programmeurs de Weta Digital. D'ailleurs, lesdits programmateurs ont reçu l'Oscar des meilleurs effets spéciaux. Andy Serkis, quant à lui, est reparti les mains vides. L'Academy – l'organisation professionnelle qui décide qui est mis en nomination et qui est oscarisé – ne prend pas en compte les prestations qui font appel à la motion et à la performance capture. Peter Jackson a essayé de la faire changer d'avis, en vain. Techniquement, ce n'est pas le comédien qui serait mis en nomination pour son rôle, mais le personnage. Gollum, donc, et non Andy, selon l'Academy.
Cette situation avait tout d'une mauvaise blague. Si on suit cette idée, les personnages, et non les comédiens, seraient mis en nomination. Mais l'Academy a fait appel à un autre argument difficile à rejeter: où se termine la performance de l'acteur, et où commence le travail des artistes en effets spéciaux? À quel moment les programmateurs ont-ils modifié un peu le contour de sa bouche ou relevé légèrement son sourcil?
Impossible à déterminer. Gollum n'est pas un homme costumé, il a été créé par ordinateur. Il est le résultat d'une collaboration entre un comédien, un réalisateur et des programmeurs. Quoi qu'il en soit, le fait qu'Andy Serkis – l'élément central de ce trio – n'ait jamais gagné d'Oscar parce que l'Academy ne prend pas en compte les motion et performance captures et ne veut même pas y consacrer une nouvelle catégorie est injuste.
Il ne s'est pas laissé décourager, bien au contraire.
En 2005, il a joué le célèbre gorille du film «King Kong» de Peter Jackson, encore une fois à l'aide de la motion capture et de la performance capture. Puis il a incarné le Capitaine Haddock dans «Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne», réalisé par Steven Spielberg. Un an plus tard, il a repris le rôle de Gollum dans «Le Hobbit: Un Voyage Inattendu». En 2015, il a joué le chef suprême Snoke dans les nouveaux «Star Wars».
Il a enfin obtenu la reconnaissance qu'il mérite grâce au rôle de Caesar, singe humanoïde extrêmement intelligent de la trilogie «La planète des singes», dont le dernier volet est sorti l'année passée. Des articles de magazines, vidéos YouTube et autres séquences tournées en coulisses dévoilées par les studios ont commencé à montrer son travail, alors qu'ils l'avaient rarement fait auparavant. Le studio Fox, l'un des producteurs de la trilogie de la planète des singes, a même créé diverses campagnes afin de changer la décision de l'Academy. Sans succès. Mais tout n'est pas perdu.
Pour Andy Serkis, la trilogie de la planète des singes a surtout fait en sorte que les spectateurs commencent enfin à voir au-delà des effets spéciaux et à se concentrer sur sa performance.
«L'expression, les émotions, l'âme du personnage sont toutes des décisions que prend le comédien», explique-t-il au magazine Vulture (en anglais). «Ce n'est pas une équipe d'animateurs, mais bien le comédien qui travaille avec le réalisateur de la première à la dernière ligne du scénario et donne toute sa dimension émotionnelle au personnage.»
Aujourd'hui, Andy Serkis est un acteur très couru. Dire que tout a commencé alors qu'il se roulait dans la boue, vêtu d'une grenouillère blanche, à la recherche d'un anneau...
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»